Remportant l’Ours d’argent du meilleur réalisateur à la Berlinale, Richard Linklater (Dazed and Confused, la trilogie Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight) revient à la charge avec Boyhood, œuvre exceptionnelle tournée sur une période de douze ans. Selon une entrevue de la société CBC accordée à Ellar Coltrane, protagoniste du film, le cinéaste aurait consacré annuellement une période d’un à deux mois au tournage avec les interprètes principaux durant plus d’une décennie.
Boyhood raconte le récit de Mason Jr (Ellar Coltrane), garçon de six ans franchissant à l’écran deux importantes étapes de sa vie, l’enfance et l’adolescence jusqu’au début de l’âge adulte. Linklater s’intéresse alors à dépeindre la façon dont la période associée à la jeunesse est régie et marquée par différentes institutions d’ordres sociaux en commençant par celles de la famille ou des amis puis de l’école et du travail.
En 2002, douze ans avant la sortie du film, le cinéaste américain avait déjà en tête une grande partie de la structure narrative de Boyhood. Toutefois, il se laissait une marge de manœuvre en ce qui concernait les dialogues des personnages afin que le projet reste ouvert et que la créativité puisse jaillir d’une année à l’autre. Au niveau de la conception du long métrage, il s’avère intéressant d’observer une certaine analogie avec une des thématiques principales de l’œuvre qui est celle du passage du temps. En effet, l’idée que Linklater tourne le film sur une si grande échelle de temps a permis d’accroître le réalisme de l’œuvre en faisant vieillir naturellement les interprètes. En réduisant les différents artifices comme le recours à une surabondance de maquillage ou d’effets spéciaux générés par ordinateur, cette démarche du réalisateur rend alors accessibles au spectateur des personnages se transformant peu à peu avec le temps. D’une durée près de trois heures, Boyhood dévoile des interprètes qui sont des enfants au tout début de l’œuvre et finalement, des adultes dont Ellar Coltrane ainsi que sa sœur Samantha (Lorelei Linklater), nulle autre que la propre fille du cinéaste. Linklater fait aussi vieillir et évoluer tout au long du récit le père d’Ellar, Mason Sr. (Ethan Hawke) et sa mère Olivia (Patricia Arquette) âgés d’une trentaine d’années au commencement du récit pour plus tard atteindre la quarantaine.
Comme il a été relevé dans plusieurs autres articles ou critiques de Boyhood, le long métrage de Linklater est une expérience en soi. Rarement au cinéma et notamment dans le cinéma de fiction le spectateur a été témoin d’un rendu aussi précis sur la transposition de l’enfance et de l’adolescence à l’écran. Le film de Linklater se veut une œuvre fictive, mais par son réalisme et sa portée universelle, il pourrait aussi bien servir de document qu’un long métrage documentaire portant sur ces mêmes thèmes. Boyhood est impressionnant non pas quand on l’observe seulement par fragments ou par ses différentes scènes, mais plutôt comme un tout cohérent permettant de témoigner sur la jeunesse et dans un sens plus large, la vie. Plus précisément, Linklater donne accès au spectateur à voir la réalité d’un jeune enfant élevé au Texas et d’observer, par la suite, comment ce dernier se développe face à différents impératifs sociaux et sociétaires tout au long de son existence.
Au niveau esthétique, Linklater signe une mise en scène très soignée sans l’ombre de prétention. Le jeu des interprètes est juste et naturel s’accordant à merveille avec les différents thèmes que l’auteur aborde au sein de l’œuvre. La trame sonore signée par différents artistes joue également un rôle fort important dans l’oeuvre et permet d’annoncer l’écoulement du temps.
En somme, Boyhood de Richard Linklater est un des plus beaux films que j’ai eu la chance de voir cette année. Fort ambitieuse et bourrée de passion, il ne serait pas étonnant que cette œuvre marque le temps et serve un jour de témoin à ce que devait être un jeune texan élevé au 21e siècle.
