En cette nouvelle année qui débute, je prends une courte pause de la rédaction de mon mémoire afin de vous proposer une rétrospective de dix films qui m’ont personnellement marqué en 2015. Quoiqu’il soit particulièrement difficile de cibler une dizaine de titres parmi plusieurs tous aussi pertinents les uns que les autres, j’ai ajouté en annexe une vingtaine d’œuvres supplémentaires qui méritent fortement d’être visionnées pour ceux et celles qui en ont le temps et, enfin, j’ai indiqué les longs métrages qui n’ont pas été pris en considération pour divers facteurs (films que je n’ai pas encore vus et/ou qui sortiront en salles au Québec en 2016).
10. Chorus de François Delisle – Canada (Québec)
Macabre et triste, Delisle raconte ce récit d’un couple brisé forcé de reprendre contact dix ans plus tard suite à la résurgence d’une mauvaise nouvelle concernant la disparition de leur fils. Tournée en noir et blanc, le cinéaste signe lui-même la sublime photographie qui dépeint avec justesse le drame d’un père (Sébastien Ricard) et d’une mère (Fanny Mallette) qui devront s’affranchir du deuil. Œuvre courtisant la mort, Chorus est avant tout un film sur le thème de la vie et la détermination à s’accrocher à cette dernière malgré la tragédie. Le long métrage viendra secouer le spectateur jusqu’au dénouement, avec une scène qui se termine sur une note d’espoir où il est possible d’observer le groupe montréalais Sunns livrer une superbe performance musicale à l’écran faisant écho d’une certaine manière à celle que Nick Cave and the Bad Seeds accomplissaient dans le film allemand Wings of Desire (Der Himmel über Berlin) de Wim Wenders.
9. Spotlight de Tom McCarthy – États-Unis
Hommage aux œuvres cinématographiques sur le journalisme d’enquête et sur le complot, telles All the President’s Men, 3 Days of the Condor ou JFK, Spotlight de Tom McCarthy met en scène des journalistes du Boston Mail qui ont découvert un scandale de pédophilie chez les prêtres à Boston dans les années 2000. Ce constat sordide a mené par la suite à une largue vague de dénonciation partout dans le monde contre les abus de l’Église catholique qui a longtemps tenté elle-même de camoufler ce fléau systémique chez le public (croyant ou non). Film le plus accompli du cinéaste jusqu’à présent, ce dernier impressionne par son scénario étoffé et une distribution plus qu’intéressante (avec, entre autres, les interprètes Michael Keaton, Mark Ruffalo, Rachel McAdams, Liev Schreiber, Stanley Tucci) où McCarthy rappelle l’importance du travail du journalisme d’investigation qui donne parfois l’impression d’être négligé et remplacé par le sensationnalisme ou l’infotainment que l’on retrouve fréquemment dans les médias populistes.
8. The Hateful Eight de Quentin Tarantino – États-Unis
Tourné en format 70 mm à l’aide d’une caméra Ultra Panavision 70 (utilisé notamment dans divers films hollywoodiens classiques des années 1950-1960 dont Ben-Hur, How the West Was Won et It’s a Mad, Mad, Mad, Mad World) et projeté de manière analogique en version « roadshow » (c’est-à-dire avec une scène d’ouverture et un entracte), Tarantino conçoit un western qui épate non seulement du côté technique, mais également au niveau scénaristique. Segmentée en divers chapitres, la majorité de l’action dans The Hateful Eight se déroule dans un seul lieu, celui d’une auberge, et présente une panoplie de personnages loufoques où éclatent diverses joutes oratoires d’acteurs de renom (dont, entre autres, Samuel L. Jackson, Tim Roth, Bruce Dern, Michael Madsen et Walton Goggins qui livre, pour ma part, une performance révélatrice) rappelant ainsi la théâtralité de son premier long métrage Reservoir Dogs. « L’enfer, c’est les autres », phrase notoire de Jean-Paul Sartre dans la pièce de théâtre Huis clos, explique par elle-même la situation dans laquelle sont confinés huit antihéros qui ne partagent pas nécessairement des valeurs et des intérêts communs. Dans un contexte d’après-guerre de Sécession, ces individus d’horizons divers se retrouveront dans une situation conflictuelle, obligés de partager le territoire de l’établissement le temps d’un blizzard. Un bain de sang ne saurait tarder.
7. Beasts of No Nation de Cary Joji Fukunaga – États-Unis
Adapté du roman du même titre que l’œuvre cinématographique par l’auteur nigérien Uzodinma Iweala, Beasts of No Nation est le premier long métrage produit par Netflix et distribué par l’entremise de cette même plateforme. Réalisé par le talentueux Cary Joji Fukunaga (Sin Nombre, True Detective : Season One), le film décrit le destin tragique d’Agu (Abraham Attah), un bambin séparé de sa famille qui deviendra la propriété d’un seigneur de guerre cruel, interprété brillamment par Idris Elba, afin d’y être transformé en enfant-soldat. Photographie fort stylisée du cinéaste qui en signe lui-même la composition, le long métrage dépeint les horreurs de la guerre sur la psyché d’un jeune garçon. Seules l’ignorance et la haine triompheront dans ce conflit laissant au passage un garçon et bien d’autres de ses confrères marqués pour la vie. Une œuvre fort difficile et viscérale qui a fait couler beaucoup d’encre (et de sang) comme l’avait fait trois années auparavant le réalisateur québécois Kim Nguyen avec Rebelle.
6. Sicario de Denis Villeneuve – États-Unis
Sélectionnée pour la Palme d’or au dernier Festival de Cannes, Villeneuve concocte ici une œuvre sur l’échec de la guerre contre la drogue à Juárez près de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Héroïne forte et déterminée, Kate Macer, agente du FBI (Emily Blunt) fait équipe avec Matt Graver (Josh Brolin) et Alejandro (interprété avec brio par Benicio Del Toro), un conseiller suspicieux, afin de capturer un baron de la drogue mexicain. Grâce à la captivante photographie du vétéran Roger Deakins et la mise en scène sensible de Denis Villeneuve, la tension est palpable et nombreuses scènes témoignent d’une forte intensité en élevant ce film policier au-dessus des standards du genre. On pense, entre autres, au moment où la protagoniste et ses troupes entrent en territoire hostile à l’aide de véhicules blindés et à celui où le personnage de Del Toro s’invite par surprise à un souper de famille qui tournera au vinaigre. Probablement, le long métrage le plus pertinent à s’intéresser aux cartels de la drogue depuis le récent film Heli du cinéaste mexicain Amat Escalante et Traffic de Steven Soderbergh.
5. La loi du marché de Stéphane Brisé – France
D’un style fort réaliste et quasi documentaire, ce drame social qui rappelle le cinéma des frères Dardenne et celui de Ken Loach, dévoile le récit de Thierry (Vincent Lindon), un chômeur de plus de vingt mois qui peine à se trouver un emploi malgré l’expérience qu’il détient dans son domaine où le précariat est la norme. Aux prises avec de nombreuses dettes et un fils lourdement handicapé, il accepte un emploi en dessous de ses compétences en tant qu’agent de sécurité dans un supermarché. Gagnant du prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes de 2015, Lindon excelle dans ce rôle où il est pris au dépourvu par un conflit éthique opposant ses valeurs personnelles à celles des fonctions de son gagne-pain lorsqu’il a pour tâche de dénoncer ses propres collègues. D’une violence subtile et inouïe, La loi du marché décrit comment les rouages des institutions s’attaquent au commun des mortels. Dans un monde axé sur le conformisme, l’efficacité et la performance, la compétition interindividuelle est de mise. Brisé signe ainsi un véritable film coup de poing sur la banalité du mal qu’engendre la société marchande sur l’individu qui ne cherche pas nécessairement à s’y souscrire.
4. Macbeth de Justin Kurzel – Royaume-Uni, France et États-Unis
Adaptée au cinéma à maintes reprises par différents auteurs tels Orson Welles, Akira Kurosawa et Roman Polanski, Justin Kurzel livre cette fois-ci une version fort brutale et esthétique de l’œuvre classique de William Shakespeare. Révélé par le cinglant film Snowtown, le long métrage du cinéaste australien raconte les déboires de Macbeth, un homme ambitieux (Michael Fassbender) qui aspire à devenir roi d’Écosse suite à la prophétie que lui révèle un trio de sorcières. Peu importe les moyens à prendre afin d’accéder au trône, Lady Macbeth (Marion Cotillard) persuadera le protagoniste de passer à l’acte. Sombre et magnifique, la photographie d’Adam Arkapaw additionnée des nombreux ralentis stylisés que l’on retrouve dans Macbeth vient agrémenter la principale thématique du pouvoir corrupteur. Loin d’être seulement une prouesse technique, Kurzel amène les principaux acteurs à se dépasser et à communiquer une parabole sadique et violente sur la nature bestiale de l’homme qui se révèle, désastreusement, toujours d’actualité.
3. Mad Max : Fury Road de George Miller – Australie et États-Unis
Avec le quatrième volet de la franchise, George Miller est encore une fois aux commandes de la saga Mad Max, mais cette fois avec l’interprète Charlize Theron et Tom Hardy en remplacement de la figure de proue, Mel Gibson exclu des studios hollywoodiens (dont on rappelle que la majeure partie des têtes dirigeantes sont juives) après avoir proféré des propos antisémites. Film d’action amalgamé à un western post-apocalyptique, Mad Max: Fury Road présente un univers complètement disjoncté et original où un ex-militaire devenu tyran contrôle les principales ressources naturelles se voulant être ici l’eau et le pétrole. L’un des bras droits du dictateur, l’impératrice Furiosa (Charlize Theron) se rebellera contre ce dernier avec l’aide de l’ancien policer Max (Tom Hardy) et du sbire Nux (Nicholas Hoult). Fable à saveur féministe et socialiste, l’œuvre de Miller détonne non seulement par ses scènes d’action majoritairement tournées en prise de vue réelle (préférant l’utilisation de véritables cascades, de décors naturels et d’objets réels à celle de l’image de synthèse qui est employée plutôt comme béquille), mais également par son idéologie divergente du blockbuster moyen qui tend à (re)façonner constamment le mythe du rêve américain. Du spectacle et de l’attraction comme vous ne le verrez cette année qui viennent redéfinir le septième art dans sa forme la plus épurée, c’est-à-dire celle de l’image en mouvement.
2. Force Majeure (Turist) de Ruben Östlund – Suède, France, Norvège et Danemark
Cinéaste suédois qui m’était à ce jour inconnu avant de visionner Force Majeure (Turist), Östlund remet en cause le paternalisme et l’image de l’homme protecteur dans son quatrième long métrage en dévoilant les problèmes conjugaux que connaitra un couple en vacances, parti skier dans les Alpes françaises avec leurs enfants. Suite au déclenchement d’une avalanche, Tomas, le père de famille (Johannes Kuhnke) prendra la fuite au lieu de penser à secourir Ebba, sa femme (Lisa Loven Kongsli) et ses progénitures durant l’accident. Est-ce l’instinct de survie qui l’a poussé à agir de cette manière erratique? Est-ce par égoïsme ou par manque d’altruisme que l’homme a voulu sauver sa peau avant celle de sa famille? Toutes ces questions posées viendront ainsi miner peu à peu la relation amoureuse entre les deux individus. Accompagné d’une sublime trame sonore classique de Vivaldi et de nombreux plans fixes révélés par une photographie époustouflante du suédois Fredrik Wenzel, le film comporte une ambiance dissonante et la tension se veut grimpante. Portrait significatif d’un artiste qui tend à remettre en question le rôle traditionnel de l’homme dans la société suédoise postmoderne, Force Majeure est une de ces œuvres criardes de révélation.
1. Winter Sleep (Kis Uykusu) de Nuri Bilge Ceylan – Turquie, Allemagne et France
Gagnant de la Palme d’or de 2014 à Cannes, Winter Sleep est arrivé sur les écrans québécois en début 2015. D’une durée de plus de trois heures, le récit inspiré de deux nouvelles d’Anton Tchekhov relate l’histoire d’Aydin (Haluk Bilginer), un comédien à la retraite, propriétaire d’un somptueux hôtel rustique dans la région de l’Anatolie centrale en Turquie. Ce dernier qui, sans cesse remet sa vie en question, habite avec sa sœur Necla (Demet Akbag) récemment divorcée et sa jeune épouse Nihal (Melisa Sözen) qui le confrontent, chacune à leur tour, sur ses idées reçues. Œuvre exceptionnelle sur la condition humaine dont sont soulevées au passage diverses interrogations d’ordre philosophique, éthique et sociologique, Nuri Bilge Ceylan signe un long métrage maîtrisé et verbeux, mais tant fascinant sur le fond. L’œuvre cinématographique du cinéaste turc n’est pas une des plus accessibles, mais le spectateur courageux et (surtout) patient saura être récompensé en découvrant un protagoniste hautement nuancé et développé ainsi que des dialogues denses et ingénieux laissant place à la réflexion. Au niveau esthétique, il s’avère primordial de souligner également l’excellent travail du directeur de la photographie, Gökhan Tiryaki qui donne le goût de s’envoler en Anatolie et l’utilisation judicieuse du morceau classique de Franz Schubert, la Sonate pour piano no° 20 en la majeur D. 959 en trame sonore. Sans rien enlever à l’excellent Mommy de Xavier Dolan, on comprend mieux pourquoi Winter Sleep a raflé le prix le plus prestigieux de Cannes, la même année.
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Vingt autres films intéressants de 2015
(Pas en ordre précis)
- Félix et Meira de Maxime Giroux – Canada (Québec)
- A Most Violent Year de J.C. Chandor – États-Unis et Émirats arabes unis
- The Voices de Marjane Satrapi – États-Unis et Allemagne
- Corbo de Mathieu Denis – Canada (Québec)
- Ex Machina d’Alex Garland – Royaume-Uni
- Kumiko, The Treasure Hunter de David Zellner – États-Unis
- The Salt of the Earth de Juliano Ribeiro Salgado et Wim Wenders – France, Brésil et Italie
- Love & Mercy de Bill Pohlad – États-Unis
- The Gift de Joel Edgerton – Australie et États-Unis
- Straight Outta Compton de F. Gary Gray – États-Unis
- Endorphine d’André Turpin – Canada (Québec)
- Black Mass de Scott Cooper – États-Unis et Royaume-Uni
- Mississippi Grind d’Anna Boden et Ryan Fleck – États-Unis
- Guibord s’en va-t-en guerre de Philippe Falardeau – Canada (Québec)
- Steve Jobs de Danny Boyle – États-Unis
- Mon roi de Maïwenn – France
- Creed de Ryan Coogler – États-Unis
- Dope de Rick Famuyiwa – États-Unis
- The Danish Girl de Tom Hooper – Royaume-Uni, Allemagne et États-Unis
- Trumbo de Jay Roach – États-Unis
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Œuvres que je n’ai pas encore visionnées et/ou qui seront à l’affiche au Québec en 2016
- The Revenant d’Alejandro González Iñárritu – États-Unis
- Dheepan de Jacques Audiard – France
- Son of Saul (Saul Fia) de László Nemes– Hongrie
- Knight of Cups de Terrence Malick – États-Unis
- Hail, Caesar! des frères Coen – États-Unis et Royaume-Uni
- Louder Than Bombs de Joachim Trier – Norvège, France et Danemark
- The Lobster de Yorgos Lanthimos – Irlande, Royaume-Uni, Grèce, France, Pays-Bas et États-Unis
- Silence de Martin Scorsese – États-Unis
- Les êtres chers d’Anne Émond – Canada (Québec)
- Mountains May Depart (Shan he gu ren) de Jia Zhangke – Chine, France et Japon
- The Sea of Trees de Gus Van Sant – États-Unis
- Umimachi Diary d’Hirokazu Kore-eda – Japon
- Amy d’Asif Kapadia – Royaume-Uni et États-Unis
- Cemetery of Splendour (Rak ti Khon Kaen) d’Apichatpong Weerasethakul– Thaïlande, Royaume-Uni, France, Allemagne, Malaisie, Corée du Sud, Mexique, États-Unis et Norvège
- Snowden d’Oliver Stone – Allemagne et États-Unis
- Land and Shade (La tierra y la sombra) de César Augusto Acevedo – Colombie, France, Pays-Bas, Chili et Brésil
- Anna de Charles-Olivier Michaud – Canada (Québec) et Thaïlande
- The End of the Tour de James Ponsoldt – États-Unis












