L’an 2016 tirant sa révérence, arrive maintenant le moment de l’année où l’auteur de ce blogue – blogue quelque peu délaissé ces derniers temps par la rédaction du mémoire (actuellement déposé), j’en conviens – doit se prononcer sur dix œuvres cinématographiques qui l’ont particulièrement marqué au cours de l’année. Comme il s’avère quelque peu difficile d’en sélectionner un nombre restreint dans le but d’établir un palmarès, j’ajouterai en complément une vingtaine d’œuvres qui méritent l’attention du spectateur lambda et/ou des cinéphiles les plus aguerris tout en précisant également les films qui n’ont pas été pris en compte pour diverses raisons (œuvres que je n’ai pas eu le temps de visionner et/ou celles qui prendront l’affiche au Québec en 2017).
10. Hell or High Water de David Mackenzie – États-Unis

Néo-Western ou western réaliste, le dernier long métrage de Mackenzie s’intéresse aux laissés-pour-compte du rêve américain. Suivant le décès de leur mère, deux frères peu fortunés, l’un père de famille divorcé (Chris Pine) et l’autre ex-prisonnier au tempérament instable (Ben Foster), commettront nombreux vols de banque afin d’être en mesure de racheter la ferme familiale avant qu’elle ne soit saisie par une institution bancaire. À la manière des films du Nouvel Hollywood, Hell or High Water s’avère fort pertinent dans l’idée de rendre attachants des antihéros criminels dotés d’une forme de justice salvatrice (ils se vengent en cambriolant à maintes reprises la Texas Midlands Bank, l’institution qui est responsable de vouloir mettre le grappin sur leur bien immobilier) et de pointer du doigt les inégalités sociales du système américain qui tendent à favoriser des récits brutaux de la sorte. En somme, ce jeu du chat et de la souris auquel participent hors-la-loi et forces de l’ordre (auquel se prête, entre autre, l’amusant et charismatique Jeff Bridges dans la peau d’un shérif à deux pas de la retraite) révèle une Amérique moderne et actuelle où nombreux sont les oubliés de l’American dream à dépasser les limites pour se faire entendre comme l’a démontré la majorité silencieuse en faisant un pied de nez à l’élite libérale lors des dernières élections américaines. Pour le meilleur ou pour le pire…
9. Knight of Cups de Terrence Malick – États-Unis

Fable philosophique et existentialiste, Malick signe une œuvre fort radicale et libertaire racontant en huit chapitres – dont chacun porte le nom d’une carte de tarot (The Moon, The Hanged Man, The Hermit, etc.) excepté le dernier chapitre – les déboires d’un scénariste hollywoodien (Christian Bale) en quête existentielle. Ce dernier, errant, cherchera en vain un sens à la vie à travers les différents artifices de sa profession, de ses amours et flirts ainsi que de ses multiples balades et aller-retour dans les rues de Los Angeles auprès des gens les plus démunis. Truffé de symbolisme et d’allégories, Knight of Cups s’avère peut-être le film le plus expérimental et éclaté du cinéaste jusqu’à ce jour, la narrativité étant utilisée ici comme béquille à travers le montage et non comme fin en soi. Pour les néophytes qui ne connaissent pas nécessairement le style de l’esthète réalisateur, il ne s’agit peut-être pas de son long métrage le plus accessible, mais à ceux qui osent, l’indifférence ne pourra être de mise.
8. Midnight Special de Jeff Nichols – États-Unis et Grèce

À mi-chemin entre le film de science-fiction, le road-movie et le thriller, Midnight Special amalgame les différents genres afin de produire une œuvre fort pertinente sur la paternité, l’amour inconditionnel et sur la cellule familiale, thèmes chers du cinéaste-auteur Jeff Nichols abordés dans divers de ces longs métrages. L’œuvre qui dénote de nombreuses références au cinéma de Spielberg et de Carpenter dévoile le récit d’un père (Michael Shannon) et d’un fils (Jaeden Lieberher) détenant des superpouvoirs qui fuient le gouvernement américain ainsi qu’une secte religieuse qui cherchent à mettre la main sur le gamin. Vu telle une menace pour le premier et comme une prophétie pour la seconde, le mystère persistera tout au long du film à l’égard des origines étranges du garçon marginal. Ponctué d’une sublime trame sonore de David Wingo et d’un excellent travail de photographie d’Adam Stone, le réalisateur américain s’assure de tenir en haleine le spectateur en soulevant nombreux questionnements qui ne seront non pas résolus entièrement, mais plutôt sujets à interprétation de sa part. L’année 2016 aura été prolifique pour Nichols qui, en plus d’avoir signé ce film, est l’instigateur du modeste et retenu Loving dépeignant la bataille juridique d’un couple dont le mariage interracial sera condamnable par la loi en Virginie durant les années 50.
7. The Revenant d’Alejandro González Iñárritu – États-Unis, Hong Kong et Taïwan

Sortie au Québec sur grand écran au commencement de l’année, The Revenant a fait couler beaucoup d’encre par son imagerie viscérale et sanglante d’un épisode sombre relié à la Conquête de l’Ouest. Basé sur le récit mythique du trappeur Hugh Glass (Leonardo DiCaprio), laissé pour mort par ses confrères suite à l’attaque d’un ours, ce dernier cherchera à se venger de John Fitzgerald (Tom Hardy), l’homme à la fois responsable de l’avoir trahi et du meurtre de son fils. Plus qu’un simple film de vengeance, l’œuvre d’Iñárritu révèle une ode à la persévérance et à la survie en territoire hostile où le cinéaste mexicain prend soin de ne pas représenter de manière manichéenne les Blancs et les Indiens : « Nous sommes tous des sauvages » comme le signale une affiche où se retrouve pendu un confrère cheyenne de Glass. Sans être l’œuvre la plus accomplie du réalisateur, le long métrage mérite tout de même d’être souligné non seulement par son aspect technique impeccable, mais aussi par la beauté de ses images tournées en décors naturels (en grande partie dans l’Ouest canadien et en Argentine pour la scène finale) ainsi que pour la volonté d’Iñárritu à employer un bon nombre d’acteurs d’origine amérindienne (et non pas des Blancs pour les interpréter).
6. La La Land de Damien Chazelle – États-Unis

Véritable hymne au cinéma classique, à la musique jazz ainsi qu’à la mouvance romantique, La La Land fait renaître un genre à l’agonie, c’est-à-dire celui du film musical. Puisant dans le répertoire des films de Gene Kelly, tels les plus notoires dont An American in Paris ou Singin’ in the Rain, Chazelle assure un troisième long métrage fort pertinent sur la magie d’Hollywood et l’importance de persister afin de réaliser ses rêves. Tournée en CinemaScope, un format panoramique fort populaire du côté des grandes productions américaines durant les décennies 1950-1960, l’œuvre témoigne de la relation amoureuse trouble et passionnée d’un jeune couple composé de Sebastian (Ryan Gosling), pianiste aspirant à devenir propriétaire d’un club de jazz et de Mia (Emma Stone) qui cherche à percer en tant qu’actrice à Hollywood. Le film marquera les esprits non seulement en raison de sa mise en scène habile et énergétique, mais également par la chimie de ses deux interprètes principaux ainsi que par sa scène d’introduction mémorable tournée en plan-séquence en pleine autoroute achalandée de Los Angeles où figurent différents interprètes sortant de leur voiture pour se mettre à danser et à chanter. Un feel-good movie intelligent comme il ne s’en fait plus. Nostalgie va.
5. Divines d’Houda Benyamina – France et Qatar

Gagnant du prix Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, le premier long métrage d’Houda Benyamina est une incroyable découverte sortie incognito en vidéo sur demande. Diffusé en exclusivité sur la plateforme Netflix, Divines s’inscrit dans la lignée des films qui s’intéressent aux déclassées des banlieues parisiennes tel La Haine de Mathieu Kassovitz ou tel le récent Girlhood de Céline Sciamma. Au sein de cette première mouture, la réalisatrice explore les thèmes de l’amitié, de l’amour et de la quête d’émancipation où l’on suit le récit de deux jeunes filles en provenance d’une cité HLM qui ne cherchent qu’à s’épanouir à travers l’accomplissement d’activités illégitimes. Parsemé d’une trame sonore mêlant la musique sacrée à celle du rap, Benyamina annonce la prémisse d’un récit tragique pour laquelle le spectateur passera par toute une gamme d’émotions variées. Méconnu, mais tout de même accessible, le film mérite amplement de s’y attarder le long de ses cent cinq minutes.
4. The Lobster de Yorgos Lanthimos – Irlande, Royaume-Uni, Grèce, France, Pays-Bas et États-Unis

Accumulant les œuvres métaphoriques et conceptuelles dont Alps ou le déjanté Dogtooth, le cinéaste grec est de retour pour un des films les plus atypiques de l’année. Raflant le prix du Jury à Cannes en 2015, The Lobster s’intéresse à la dictature des pressions sociales sur l’individu à s’assujettir à la vie en couple. Le film projette le spectateur au sein d’une société dystopique où le célibat est sujet à la punition en fonction des lois établies par « The City », l’individu alors forcé à séjourner à « The Hotel », un endroit où ce dernier doit trouver un ou une partenaire en un certain laps de temps. S’il faillit à la tâche, il se verra transformé en animal de son choix pour ensuite être relâché dans la nature, cet espace communément intitulé « The Woods ». Totalement originale et réalisée avec brio, cette coproduction internationale à la fulgurante distribution qui contient, peut-être, l’une des meilleures performances de Colin Farrell en carrière, détonne en s’avérant bourrée d’humour noir et de moments loufoques qui décoiffent tout en faisant sortir le public de sa zone de confort.
3. Moonlight de Barry Jenkins – États-Unis

Film indépendant encensé par la critique et gagnant de nombreux prix dans divers festivals de cinéma américain, le long métrage de Jenkins s’avère une authentique découverte. Divisé en trois actes distincts (enfance, adolescence, âge adulte) de la vie d’un Afro-Américain élevé dans un quartier dur de Miami, le long métrage relate le combat pénible de ce dernier à vouloir affirmer sa place dans le monde en tant que jeune noir homosexuel. À l’aide de la magnifique photographie de James Laxton et de la grandiose bande sonore de Nicholas Britell, le cinéaste américain accomplit un travail de moine exposant au passage les différentes vignettes de l’existence de Chiron, protagoniste joué par trois acteurs talentueux et différents au fil des chapitres du film (Alex Hibbert dans le rôle de l’enfant, Ashton Sanders dans celui de l’adolescent et Trevante Rhodes dans la peau de l’adulte). Une projection émouvante et éprouvante qui secoue le spectateur jusque dans ses tripes.
2. Le fils de Saul (Saul Fia) de László Nemes – Hongrie

Énième long métrage à s’intéresser à l’Holocauste et à la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre de Nemes parvient à dévoiler un angle nouveau et fort pertinent de ce triste moment historique. Portrait intimiste de l’Holocauste cadré de manière serrée, Le fils de Saul dépeint le récit de Saul Ausländer (Géza Röhrig), juif et hongrois membre d’un Sonderkommando, groupe auquel des individus sont sélectionnés et forcés par les nazis à effectuer des tâches ingrates comme celle de disposer des corps et des objets personnels des prisonniers envoyés dans les douches meurtrières du camp de concentration d’Auschwitz. Le protagoniste sera alors témoin de la survie d’un enfant qui, après avoir survécu miraculeusement à l’émanation gazière, se voit étouffé par les mains d’un docteur nazi pour ensuite être mis en observation afin d’y être étudié cet étrange concours de circonstances. Saul se donnera alors pour quête d’enterrer ce garçon qui porte à lui seul le germe de la survivance et de la résilience d’un peuple face à l’horreur et la bêtise humaine. Obtenant le Grand prix du jury à Cannes en 2015 ainsi qu’un Oscar pour le meilleur film en langue étrangère l’année suivante, cette production hongroise basée sur le recueil de textes Des voix sous la cendre axée sur le témoignage de Sonderkommandos d’Auschwitz se révèle telle une expérience cinématographique des plus exigeantes et bouleversantes de 2016.
1. American Honey d’Andrea Arnold – Royaume-Uni

D’une durée frôlant les trois heures, la réalisatrice britannique se livre pour son quatrième long métrage à une démystification du rêve américain en proposant une critique virulente de l’Amérique. Explorant à nouveau une de ses thématiques les plus chères qui est celle de la revendication des classes défavorisées à l’affranchissement et à l’émancipation qu’Arnold eût exploitée auparavant dans le brillantissime Fish Tank et le modeste Wuthering Heights, American Honey présente le destin de Star (interprété par Sasha Lane, une actrice non professionnelle livrant une performance révélatrice), une adolescente issue d’une famille pauvre cherchant à se libérer de son quotidien. Séduite par un jeune homme du nom de Jake (joué par Shia LaBeouf dans un de ses meilleurs rôles en carrière), ce dernier la convainc de se joindre à une troupe de jeunes délinquants et marginaux (composée pour la plupart d’interprètes amateurs) qui parcourent les routes des États-Unis en vendant des abonnements de magazines à des particuliers tout en n’hésitant pas au passage à transgresser nombreuses lois et à faire fréquemment la fête. Cette errance aux confins de l’Amérique à laquelle sont visités différents lieux disparates (quartiers pauvres/ouvriers, banlieues aisées) par les différents personnages divulgue un portrait sociologique des plus pertinents de la société étasunienne moderne. Un road-movie à l’esthétique réaliste accompagné d’une trame sonore dépareillée qui pourrait durer indéfiniment tellement il est facile de se laisser emporter par la vague.
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Une vingtaine d’autres œuvres intéressantes de 2016 à découvrir (si ce n’est déjà fait)
(pas en ordre précis)
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- Juste la fin du monde de Xavier Dolan – Canada (Québec) et France
- Arrival de Denis Villeneuve – États-Unis
- The Neon Demon de Nicolas Winding Refn – États-Unis, Danemark et France
- 10 Cloverfield Lane de Dan Trachtenberg – États-Unis
- Dheepan de Jacques Audiard – France
- Louder Than Bombs de Joachim Trier – Norvège, France, Danemark et États-Unis
- Everybody Wants Some!! de Richard Linklater – États-Unis
- Elle de Paul Verhoeven – France, Allemagne et Belgique
- Hail, Caesar! des frères Coen – Royaume-Uni, États-Unis et Japon
- Hunt for the Wilderpeople – Taika Waititi – Nouvelle-Zélande
- The Nice Guys de Shane Black – États-Unis
- Lion de Garth Davis – Australie
- Snowden d’Oliver Stone – France, Allemagne et États-Unis
- Nocturnal Animals de Tom Ford – États-Unis
- Manchester by the Sea – Kenneth Lonergan – États-Unis
- High–Rise de Ben Wheatley – Royaume-Uni et Belgique
- Jackie de Pablo Larraín – Chili, France et États-Unis
- Loving de Jeff Nichols – Royaume-Uni et États-Unis
- Train to Busan (Busanhaeng) de Sang-ho Yeon – Corée du Sud
- Sully de Clint Eastwood – États-Unis
- Demolition de Jean-Marc Vallée – États-Unis
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Films que je n’ai pas eu le temps de visionner et/ou ceux qui prendront l’affiche au Québec en 2017

- Silence de Martin Scorsese – Mexique, Taïwan et États-Unis
- I, Daniel Blake de Ken Loach – Royaume-Uni, France et Belgique
- Toni Erdmann de Maren Ade – Allemagne, Autriche et Roumanie
- Nelly d’Anne Émond – Canada (Québec)
- The Founder de John Lee Hancock – États-Unis
- Julieta de Pedro Almodóvar – Espagne
- The Salesman (Forushande) d’Asghar Farhadi – Iran et France
- Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau de Mathieu Denis et Simon Lavoie – Canada (Québec)
- A Monster Calls de J.A. Bayona – Royaume-Uni, États-Unis, Espagne et Canada
- The Lost City of Z de James Gray – États-Unis
- Personal Shopper d’Olivier Assayas – France et Allemagne
- Paterson de Jim Jarmusch – France, Allemagne et États-Unis
- Gold de Stephen Gaghan – États-Unis
- La fille inconnue des frères Dardenne – Belgique et France
- 20th Century Women – États-Unis
- L’avenir de Mia Hansen-Løve – France et Allemagne
- Neruda de Pablo Larraín – Chili, Argentine, France, Espagne et États-Unis
- The Wailing (Goksung) de Hong-jin Na – Corée du Sud et États-Unis
